jeudi 20 janvier 2011

Pour une République fédérale, démocratique et solidaire, basée sur les trois régions. Résolution de la LCR sur la question nationale en Belgique

La crise politique belge — et les partis traditionnels qui la gèrent — ne cesse de s'embourber. Le blocage actuel est la conséquence d'une crise sans précédent du pseudo fédéralisme néolibéral qui s'est construit dans ce pays au rythme de ses réformes constitutionnelles successives. Face à cette situation, quelles réponses concrètes apporter du point de vue des intérêts du mouvement ouvrier ? Quelle a été l'évolution et la nature exacte de la question nationale en Belgique hier et aujourd'hui ? Comment combiner, à partir d'une perspective marxiste révolutionnaire, une approche transitoire articulant des revendications anticapitalistes et les « questions institutionnelles » et démocratiques ? C'est à ces questions, et à d'autres encore, que s'attache à apporter des réponses, ou des pistes de réponses, le texte d'analyse et de propositions que nous publions ci-dessous, en format PDF. Il s'agit d'un texte adopté par la Direction nationale de la LCR en décembre dernier, à la fois comme prise de position publique sur le sujet et comme projet de résolution pour son congrès national qui se tiendra en juin 2011. Ce texte exprime donc notre opinion actuelle en la matière, tout en la soumettant publiquement à discussion, aux remarques et aux critiques. N'hésitez pas à nous les communiquer en nous écrivant à : info@lcr-lagauche.be Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. (LCR-Web)

Le peuple dans la rue chasse Ben Ali. Vers l'an 1 de la Révolution tunisienne ?

L'année 2011 ne pouvait mieux commencer que par la chute d'un dictateur odieux sous les coups énergiques d'un soulèvement populaire massif, démocratique et déterminé. Malgré la répression sanglante dont il a été victime et qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés, malgré les pseudo concessions et réformettes que le régime aux abois a été forcé de concéder au dernier moment, le peuple tunisien n'a pas reculé d'un pouce, n'a pas faibli et ne s'est pas laissé prendre au piège.
Face à cela, le cynisme des gouvernements occidentaux n'a décidément pas de bornes. Depuis 60 ans, ils ont tout fait pour assurer le maintien en place du régime dictatorial de Bourguiba (1957-1987) puis de son successeur Ben Ali (1987-2011), que ce soit au pire, en lui apportant un soutien direct, ou au mieux – ce qui revient en fait au même - en détournant les yeux de ses crimes. Aujourd'hui, après un mois de silence assourdissant face à la répression sanglante déclenchée par le régime, ils sont forcés et contraints aujourd'hui de « prendre acte » de la victoire populaire et de la fuite de leur protégé. Obama décroche la palme de l'hypocrisie en « saluant » après coup le « courage des Tunisiens », alors que Washington n'a pas cessé un instant d'aider, d'entraîner et de conseiller la police, l'armée et les services secrets du bourreau de ce peuple.
Le gouvernement belge n'est pas en reste: alors que Ben Ali préparait ses valises, le ministre des affaires étrangères, Steven Vanackere, prônait « un apaisement par le dialogue entre les autorités et les aspirations exprimées par les manifestants ». Quant au PS belge, s'il a demandé tardivement la fin de la répression, il a par contre soigneusement évité d'exiger la fin de la dictature puisque le parti de Ben Ali est membre de son Internationale « socialiste »!
La fuite honteuse du dictateur et de ses proches, qui ont certainement emporté dans leurs bagages une bonne partie des richesses qu'ils ont spoliées, représente un événement et un tournant majeurs, non seulement pour les peuples du Maghreb, mais à l'échelle internationale et mondiale. Le peuple tunisien a donné un exemple universel de combativité à travers une lutte déterminée et radicale qui démontre qu'il s'agit de la seule voie permettant d'atteindre un réel résultat. Cet exemple a et aura un impact important parmi les peuples du Maghreb et dans le monde arabe en général. Mohammed VI au Maroc ou Bouteflika en Algérie tremblent pour leur pouvoir et ils ont bien raison car l'exemple des peuples qui se libèrent par la lutte est contagieux. Déjà, en Algérie la jeunesse est également entrée en rébellion contre la misère, le chômage et la vie chère. Au Maroc plus de 20.000 personnes ont manifesté à Tindouf fin décembre dernier. La Jordanie est secouée par des manifestations massives contre l'inflation.
Loin des campagnes racistes et islamophobes sur le soi-disant "choc des civilisations", qui tentent de faire accroire que la mobilisation des peuples arabo-musulmans pave le chemin de l'intégrisme religieux obscurantiste et qui, sous ce prétexte, soutiennent des dictatures de tout poil (fondamentalistes ou pseudo-laïques), la victoire du peuple tunisien montre le formidable potentiel d'émancipation et de démocratie que recèle toute lutte de masse contre l'injustice. Le rôle actif des femmes dans cette victoire, celui des jeunes femmes en particulier, est un signe qui ne trompe pas.
Toutes proportions gardées, cet exemple de lutte est également valable et fera réflechir les travailleurs-euses d'Europe qui subissent une offensive capitaliste sans précédent, la montée du chômage, de la misère et de la précarité ainsi que des dénis démocratiques. Seule la lutte de tous-tes les exploité-e-s uni-e-s dans la diversité peut être payante. Elle ne garantit pas à 100% la victoire, mais la passivité, ainsi que les poisons de la division raciste et sexiste, eux, garantissent à 100% la défaite.
Le peuple tunisien, et la jeunesse en particulier qui a été en première ligne et payé le prix fort, a démontré une capacité de mobilisation, une détermination et un courage hors pair. La chute de Ben Ali est sa victoire, elle n'appartient à personne d'autre. Mais les politiciens bourgeois, que ce soit ceux de l'opposition ou ceux issus du régime, risquent de lui confisquer cette victoire et font tout ce qui est possible pour faire rentrer dans son lit le fleuve de l'insurrection populaire, pour que tout rentre dans « l'ordre » au nom de « l'unité nationale ».
La « transition » qu'ils tentent d'opérer aujourd'hui n'est pas une nouveauté. Comme ce fut le cas lors de la chute d'autres dictatures, de l'Espagne franquiste aux régimes militaires latino-américains, la bourgeoisie qui a été le principal soutien et bénéficiaire de ces régimes tente de se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Avec l'appui de l'impérialisme, le personnel politique issus de la dictature se « convertit » subitement aux bienfaits de la démocratie formelle et pactise avec l'opposition modérée. L'essentiel est de sauver l'essentiel: le pouvoir de leur classe.
Or le peuple tunisien ne s'est pas seulement soulevé contre un dictateur honni, pour ses droits et libertés démocratiques élémentaires. Il s'est aussi, et en tout premier lieu, soulevé pour le pain, pour le travail, contre la vie chère, contre la corruption et pour une autre répartition des richesses. Pour ce faire, ces dernières doivent être mises sous contrôle public et démocratique, les élites, profondément corrompues, doivent être écartées du pouvoir; les politiques néolibérales abrogées; l'appareil d'Etat épuré et tous les responsables des crimes de la dictature jugés et condamnés. Les biens du dictateur à l'étranger doivent être gelés et rétrocédés au peuple tunisien.
La révolution du peuple tunisien entre dans une nouvelle étape. La spontanéité qui a fait la force du soulèvement populaire représente aussi sa faiblesse. Elle ne pourra déjouer les manoeuvres de la bourgeoisie tunisienne et de l'impérialisme qu'en maintenant sa mobilisation intacte et sa lutte jusqu'au bout, jusqu'à ce que toutes ses revendications politiques et sociales soient satisfaites; à travers son auto-organisation démocratique et la construction d'une force politique révolutionnaire indépendante. Notre solidarité active avec le peuple tunisien pour ses objectifs fondamentaux est donc plus que jamais impérative!
15 janvier 2011
Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)
Section belge de la IVe internationale

Les peuples se soulèvent

Ce que les media bourgeois ont dénommé vulgairement « émeutes de la faim » se multiplient depuis quelques années, et plus spécialement depuis que les spéculateurs confrontés soudain à la crise des « subprimes » reportent volontiers leur avidité sur les matières premières, dont les produits agricoles. Mais ces « émeutes de la faim » sont en réalité les luttes conscientes de populations révoltées par la dégradation quotidienne de leurs conditions de vie déjà précaires, sous les coups de boutoir du capitalisme et de l’impérialisme.

Mais il faut le reconnaître, notre attention s’est trop rapidement détournée de ces mouvements pour se concentrer sur les processus en cours en Amérique latine, et sur les luttes européennes qui s’enchaînent depuis le « sauvetage » des banques et de l’euro. « Sauvetage » synonyme de choix des classes dominantes de s’affronter directement au mouvement ouvrier, et de remettre en cause via les politiques d’austérité un siècle de conquêtes sociales, à l’image de la dernière annonce en date du gouvernement anglais qui se prépare à supprimer purement et simplement l’âge légal de départ à la pension.

Et pourtant ! Et pourtant les luttes de 2010 en Europe nous ont largement masqué un aspect tout aussi fondamental des dynamiques engendrées par la nouvelle phase du capitalisme : la radicalisation de franges importantes des couches populaires des pays d’Afrique et du Proche et Moyen Orient. Le processus révolutionnaire en cours en Tunisie nous le prouve avec éclat ! Aujourd’hui, de nouveaux mouvements « contre la vie chère » se développent en Jordanie, au Sénégal, en Mauritanie, en Algérie, et les gouvernements apeurés par la « contagion » sociale de nombre de pays comme le Maroc prennent des mesures pour contrôler les prix …et sauver les meubles et l’argenterie... Partout, les peuples se soulèvent contre le capitalisme en visant ses déclinaisons locales : austérité, précarité et liquidation des acquis sociaux au Nord ; misère et autoritarisme au Sud.

Un système mondialisé, plusieurs facettes locales plus ou moins « démocratiques » selon les circonstances politiques, une logique économique unique, une classe dominante organisée et en ordre de combat d’un côté, des exploité-e-s et des opprimé-e-s de l’autre… Tel est notre monde. Alors, le mouvement ouvrier européen, au lieu de céder aux discours capitulards et mielleux des partis réformistes au service de la bourgeoisie, et aux sirènes réactionnaires et populistes des discours sur le « l’islamisation de l’Europe », ferait mieux de renouer avec une stratégie internationaliste cohérente, et de mettre son énergie, ses structures organisationnelles et ses moyens humains et financiers en œuvre pour soutenir les luttes et les coordonner : lutter contre les politiques impérialistes des pays du Nord et de l’Union européenne qui soutiennent les dictateurs au nom d’intérêts économiques et géostratégiques ; soutenir directement les combats de nos camarades au Sud en tissant des liens directs et structurés ; et redévelopper au sein de l’Union européenne la solidarité de classe qui fait défaut à tous les niveaux et qui isole les travailleurs-euses mobilisé-e-s, empêchant la jonction des mobilisations et la création d’un rapport de forces suffisant. Il existe deux revendications unifiantes aujourd’hui : « ce n’est pas à nous de payer la crise du capitalisme ! » et « virons les capitalistes et leurs valets ! »

Pour gagner contre l’austérité en Europe et pour faire émerger une alternative au capitalisme à toutes les échelles, il nous faut faire converger nos revendications de manière consciente, ce qui suppose de mettre à l’ordre du jour un « plan d’urgence sociale et démocratique » pour les exploité-e-s et les opprimé-e-s, jeunes et travailleurs-euses, ainsi que la perspective d’un débouché écosocialiste au combat de classe contre le capital. Renforçons dès maintenant nos liens internationaux en agissant dans ce sens dans les syndicats, les diverses associations, le mouvement féministe, etc. et développons avec rage la construction de partis révolutionnaires et anticapitalistes coordonnés, seuls capables de proposer une alternative globale au système, et un programme de revendications immédiates et transitoires qui s’opposent à la volonté de la bourgeoisie et des réformistes de sauvegarder la domination capitaliste.

De ce point de vue, la situation en Tunisie est cruciale, et dès le soir de la fuite de Ben Ali, les « partis d’opposition » dont le Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT) se sont mis d’accord pour sauver le régime et la classe dominante en demandant au peuple « d’éviter le chaos » en les laissant former un « gouvernement d’unité nationale »... qui proposera des élections dans six mois… quand le souffle révolutionnaire sera retombé. Ces partis trahissent les travailleurs-euses de Tunisie, qui n’ont aucune raison valable de laisser le pouvoir à cette clique de notables dont les premières déclarations consistent à rassurer les possédant-e-s en leur affirmant que si l’aspect formel de la domination capitaliste doit changer (« démocratie bourgeoise » et non « dictature bourgeoise »), les fondements de la propriété privée et des mécanismes d’exploitation resteront bels et bien en place…

Ben Ali est déchu, et c’est une victoire historique qui démontre aux sceptiques que l’irruption sur la scène publique de la population autour d’un objectif résolu peut rendre possible ce qui la veille semblait impossible ! Mais cette victoire ne doit pas être la fin du mouvement comme le prétendent les bourgeois-e-s, mais le renforcement du processus initié !

De ce qu’il adviendra dans les jours qui viennent en Tunisie dépendent les rapports de force dans de nombreux pays, au Nord comme au Sud…

Pour notre part, nos - modestes - forces seront mises au service du mouvement de solidarité avec les travailleurs-euses de Tunisie et des autres pays en lutte, et nous dénoncerons sans faiblir l’impérialisme et le néo-colonialisme des pays du Nord et de l’Union européenne, tout en combattant celles et ceux qui cherchent à étouffer les tentatives d’auto-organisation des luttes en promettant des « lendemains qui chantent » dans le système représentatif capitaliste.

Vive la solidarité internationale des travailleurs-euses ! A bas le capitalisme !
« Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ! »

Nicolas, Liège, 15 janvier 2011