L'année  2011 ne pouvait mieux commencer que par la chute d'un dictateur odieux  sous les coups énergiques d'un soulèvement populaire massif,  démocratique et déterminé. Malgré la répression sanglante dont il a été  victime et qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés,  malgré les pseudo concessions et réformettes que le régime aux abois a  été forcé de concéder au dernier moment, le peuple tunisien n'a pas  reculé d'un pouce, n'a pas faibli et ne s'est pas laissé prendre au  piège.
Face  à cela, le cynisme des gouvernements occidentaux n'a décidément pas de  bornes. Depuis 60 ans, ils ont tout fait pour assurer le maintien en  place du régime dictatorial de Bourguiba (1957-1987) puis de son  successeur Ben Ali (1987-2011), que ce soit au pire, en lui apportant un  soutien direct, ou au mieux – ce qui revient en fait au même - en  détournant les yeux de ses crimes. Aujourd'hui, après  un mois de  silence assourdissant face à la répression sanglante déclenchée par le  régime, ils sont forcés et contraints aujourd'hui de « prendre acte » de  la victoire populaire et de la fuite de leur protégé. Obama décroche la  palme de l'hypocrisie en « saluant » après coup le « courage des  Tunisiens », alors que Washington n'a pas cessé un instant d'aider,  d'entraîner et de conseiller la police, l'armée et les services secrets  du bourreau de ce peuple.
Le  gouvernement belge n'est pas en  reste: alors que Ben Ali préparait ses  valises, le ministre des affaires étrangères, Steven Vanackere, prônait  « un apaisement par le dialogue entre les autorités et les aspirations  exprimées par les manifestants ». Quant au PS belge, s'il a demandé  tardivement la fin de la répression, il a par contre soigneusement évité  d'exiger la fin de la dictature puisque le parti de Ben Ali est membre  de son Internationale « socialiste »!
La  fuite honteuse du dictateur et de ses proches, qui ont certainement  emporté dans leurs bagages une bonne partie des richesses qu'ils ont  spoliées, représente un événement et un tournant majeurs, non seulement  pour les peuples du Maghreb, mais à l'échelle internationale et  mondiale. Le peuple tunisien a donné un exemple universel de combativité  à travers une lutte déterminée et radicale qui démontre qu'il s'agit de  la seule voie permettant d'atteindre un réel résultat. Cet exemple a et  aura un impact important parmi les peuples du Maghreb et dans le monde  arabe en général. Mohammed VI au Maroc ou Bouteflika en Algérie  tremblent pour leur pouvoir et ils ont bien raison car l'exemple des  peuples qui se libèrent par la lutte est contagieux. Déjà, en Algérie la  jeunesse est également entrée en rébellion contre la misère, le chômage  et la vie chère. Au Maroc plus de 20.000 personnes ont manifesté à  Tindouf fin décembre dernier. La Jordanie est secouée par des  manifestations massives contre l'inflation.
Loin  des campagnes racistes et islamophobes sur le soi-disant "choc des  civilisations", qui tentent de faire accroire que la mobilisation des  peuples arabo-musulmans pave le chemin de l'intégrisme religieux  obscurantiste et qui, sous ce prétexte, soutiennent des dictatures de  tout poil (fondamentalistes ou pseudo-laïques), la victoire du peuple  tunisien montre le formidable potentiel d'émancipation et de démocratie  que recèle toute lutte de masse contre l'injustice. Le rôle actif des  femmes dans cette victoire, celui des jeunes femmes en particulier, est  un signe qui ne trompe pas.
Toutes  proportions gardées, cet exemple de lutte est également valable et fera  réflechir les travailleurs-euses d'Europe qui subissent une offensive  capitaliste sans précédent, la montée du chômage, de la misère et de la  précarité ainsi que des dénis démocratiques. Seule la lutte de tous-tes  les exploité-e-s uni-e-s dans la diversité peut être payante. Elle ne  garantit pas à 100% la victoire, mais la passivité, ainsi que les  poisons de la division raciste et sexiste, eux, garantissent à 100% la  défaite.
Le  peuple tunisien, et la jeunesse en particulier qui a été en première  ligne et payé le prix fort, a démontré une capacité de mobilisation, une  détermination et un courage hors pair. La chute de Ben Ali est sa  victoire, elle n'appartient à personne d'autre. Mais les politiciens  bourgeois, que ce soit ceux de l'opposition ou ceux issus du régime,  risquent de lui confisquer cette victoire et font tout ce qui est  possible pour faire rentrer dans son lit le fleuve de l'insurrection  populaire, pour que tout rentre dans « l'ordre » au nom de « l'unité  nationale ».
La  « transition » qu'ils tentent d'opérer aujourd'hui n'est pas une  nouveauté. Comme ce fut le cas lors de la chute d'autres dictatures, de  l'Espagne franquiste aux régimes militaires latino-américains, la  bourgeoisie qui a été le principal soutien et bénéficiaire de ces  régimes tente de se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Avec l'appui  de l'impérialisme, le personnel politique issus de la dictature se  « convertit » subitement aux bienfaits de la démocratie formelle et  pactise avec l'opposition modérée. L'essentiel est de sauver  l'essentiel: le pouvoir de leur classe.
Or  le peuple tunisien ne s'est pas seulement soulevé contre un dictateur  honni, pour ses droits et libertés démocratiques élémentaires. Il s'est  aussi, et en tout premier lieu, soulevé pour le pain, pour le travail,  contre la vie chère, contre la corruption et pour une autre répartition  des richesses. Pour ce faire, ces dernières doivent être mises sous  contrôle public et démocratique, les élites, profondément corrompues,  doivent être écartées du pouvoir; les politiques néolibérales abrogées;  l'appareil d'Etat épuré et tous les responsables des crimes de la  dictature jugés et condamnés. Les biens du dictateur à l'étranger  doivent être gelés et rétrocédés au peuple tunisien.
La  révolution du peuple tunisien entre dans une nouvelle étape. La  spontanéité qui a fait la force du soulèvement populaire représente  aussi sa faiblesse. Elle ne pourra déjouer les manoeuvres de la  bourgeoisie tunisienne et de l'impérialisme qu'en maintenant sa  mobilisation intacte et sa lutte jusqu'au bout, jusqu'à ce que toutes  ses revendications politiques et sociales soient satisfaites; à travers  son auto-organisation démocratique et la construction d'une force  politique révolutionnaire indépendante. Notre solidarité active avec le  peuple tunisien pour ses objectifs fondamentaux est donc plus que jamais  impérative!
15 janvier 2011
Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)
Section belge de la IVe internationale
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