Ce que les media bourgeois ont dénommé vulgairement « émeutes de la faim » se multiplient depuis quelques années, et plus spécialement depuis que les spéculateurs confrontés soudain à la crise des « subprimes » reportent volontiers leur avidité sur les matières premières, dont les produits agricoles. Mais ces « émeutes de la faim » sont en réalité les luttes conscientes de populations révoltées par la dégradation quotidienne de leurs conditions de vie déjà précaires, sous les coups de boutoir du capitalisme et de l’impérialisme.
Mais il faut le reconnaître, notre attention s’est trop rapidement détournée de ces mouvements pour se concentrer sur les processus en cours en Amérique latine, et sur les luttes européennes qui s’enchaînent depuis le « sauvetage » des banques et de l’euro. « Sauvetage » synonyme de choix des classes dominantes de s’affronter directement au mouvement ouvrier, et de remettre en cause via les politiques d’austérité un siècle de conquêtes sociales, à l’image de la dernière annonce en date du gouvernement anglais qui se prépare à supprimer purement et simplement l’âge légal de départ à la pension.
Et pourtant ! Et pourtant les luttes de 2010 en Europe nous ont largement masqué un aspect tout aussi fondamental des dynamiques engendrées par la nouvelle phase du capitalisme : la radicalisation de franges importantes des couches populaires des pays d’Afrique et du Proche et Moyen Orient. Le processus révolutionnaire en cours en Tunisie nous le prouve avec éclat ! Aujourd’hui, de nouveaux mouvements « contre la vie chère » se développent en Jordanie, au Sénégal, en Mauritanie, en Algérie, et les gouvernements apeurés par la « contagion » sociale de nombre de pays comme le Maroc prennent des mesures pour contrôler les prix …et sauver les meubles et l’argenterie... Partout, les peuples se soulèvent contre le capitalisme en visant ses déclinaisons locales : austérité, précarité et liquidation des acquis sociaux au Nord ; misère et autoritarisme au Sud.
Un système mondialisé, plusieurs facettes locales plus ou moins « démocratiques » selon les circonstances politiques, une logique économique unique, une classe dominante organisée et en ordre de combat d’un côté, des exploité-e-s et des opprimé-e-s de l’autre… Tel est notre monde. Alors, le mouvement ouvrier européen, au lieu de céder aux discours capitulards et mielleux des partis réformistes au service de la bourgeoisie, et aux sirènes réactionnaires et populistes des discours sur le « l’islamisation de l’Europe », ferait mieux de renouer avec une stratégie internationaliste cohérente, et de mettre son énergie, ses structures organisationnelles et ses moyens humains et financiers en œuvre pour soutenir les luttes et les coordonner : lutter contre les politiques impérialistes des pays du Nord et de l’Union européenne qui soutiennent les dictateurs au nom d’intérêts économiques et géostratégiques ; soutenir directement les combats de nos camarades au Sud en tissant des liens directs et structurés ; et redévelopper au sein de l’Union européenne la solidarité de classe qui fait défaut à tous les niveaux et qui isole les travailleurs-euses mobilisé-e-s, empêchant la jonction des mobilisations et la création d’un rapport de forces suffisant. Il existe deux revendications unifiantes aujourd’hui : « ce n’est pas à nous de payer la crise du capitalisme ! » et « virons les capitalistes et leurs valets ! »
Pour gagner contre l’austérité en Europe et pour faire émerger une alternative au capitalisme à toutes les échelles, il nous faut faire converger nos revendications de manière consciente, ce qui suppose de mettre à l’ordre du jour un « plan d’urgence sociale et démocratique » pour les exploité-e-s et les opprimé-e-s, jeunes et travailleurs-euses, ainsi que la perspective d’un débouché écosocialiste au combat de classe contre le capital. Renforçons dès maintenant nos liens internationaux en agissant dans ce sens dans les syndicats, les diverses associations, le mouvement féministe, etc. et développons avec rage la construction de partis révolutionnaires et anticapitalistes coordonnés, seuls capables de proposer une alternative globale au système, et un programme de revendications immédiates et transitoires qui s’opposent à la volonté de la bourgeoisie et des réformistes de sauvegarder la domination capitaliste.
De ce point de vue, la situation en Tunisie est cruciale, et dès le soir de la fuite de Ben Ali, les « partis d’opposition » dont le Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT) se sont mis d’accord pour sauver le régime et la classe dominante en demandant au peuple « d’éviter le chaos » en les laissant former un « gouvernement d’unité nationale »... qui proposera des élections dans six mois… quand le souffle révolutionnaire sera retombé. Ces partis trahissent les travailleurs-euses de Tunisie, qui n’ont aucune raison valable de laisser le pouvoir à cette clique de notables dont les premières déclarations consistent à rassurer les possédant-e-s en leur affirmant que si l’aspect formel de la domination capitaliste doit changer (« démocratie bourgeoise » et non « dictature bourgeoise »), les fondements de la propriété privée et des mécanismes d’exploitation resteront bels et bien en place…
Ben Ali est déchu, et c’est une victoire historique qui démontre aux sceptiques que l’irruption sur la scène publique de la population autour d’un objectif résolu peut rendre possible ce qui la veille semblait impossible ! Mais cette victoire ne doit pas être la fin du mouvement comme le prétendent les bourgeois-e-s, mais le renforcement du processus initié !
De ce qu’il adviendra dans les jours qui viennent en Tunisie dépendent les rapports de force dans de nombreux pays, au Nord comme au Sud…
Pour notre part, nos - modestes - forces seront mises au service du mouvement de solidarité avec les travailleurs-euses de Tunisie et des autres pays en lutte, et nous dénoncerons sans faiblir l’impérialisme et le néo-colonialisme des pays du Nord et de l’Union européenne, tout en combattant celles et ceux qui cherchent à étouffer les tentatives d’auto-organisation des luttes en promettant des « lendemains qui chantent » dans le système représentatif capitaliste.
Vive la solidarité internationale des travailleurs-euses ! A bas le capitalisme !
« Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ! »
Nicolas, Liège, 15 janvier 2011
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